La mise en place d’une commission d’enquête parlementaire est en bonne voie. Après la réunion du bureau de l’Assemblée tenue le jeudi 25 janvier, la conférence des présidents a été convoquée ,hier, vendredi. Les deux rencontres ont été fructueuses pour le groupe parlementaire Liberté, Démocratie et Changement. Le risque est gros. Des spécialistes en droit craignent une paralysie des institutions. Toutefois les choses ne seront pas si simples.
Tout s’accélère du côté de l’Assemblée nationale. Dans les prochains jours tout peut s’emballer. Une commission d’enquête parlementaire chargée d’éclairer les soupçons de corruption visant deux juges du Conseil Constitutionnel sera mise sur pied à travers une plénière.
D’une manière globale, une commission est constituée en fonction de la représentativité des députés dans les groupes parlementaires. Généralement, le groupe majoritaire compte beaucoup plus de membres que les autres groupes. La commission d’enquête parlementaire doit représenter une photographie de l’Assemblée nationale. Une fois les membres connus, la commission se réunit et nomme un bureau et des membres. Une fois la composition connue et les procédures établies, on donne à la commission un délai. Celui-ci peut aller jusqu’à quatre ou six mois et être renouvelé.
A partir de ce moment, les membres de la commission procéderont à des auditions. Toutefois, dans le cas où sont visés les membres du Conseil Constitutionnel, le travail de ladite commission risque d’être entravée. En effet, les députés ne sont pas en mesure d’entendre un juge du Conseil. L’article 93 de la Constitution stipule : « Sauf cas de flagrant délit, les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en matière pénale qu’avec l’autorisation du Conseil et dans les mêmes conditions que les membres de la « Cour suprême » et de la Cour des Comptes. »
En clair, les conclusions de cette enquête parlementaire n’auront aucun impact sur les membres du Conseil. Suivant l’article 5 de la loi organique numéro 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil Constitutionnel « II ne peut être mis fin, avant l’expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sur leur demande, ou pour incapacité physique, et sur l’avis conforme du Conseil. Dans tous les cas, l’intéressé est entendu par le Conseil et reçoit communication de son dossier. L’empêchement temporaire d’un membre du Conseil est constaté par le Conseil. Si cet empêchement se prolonge au-delà d’une durée de soixante jours, il est mis fin aux fonctions de l’intéressé dans les conditions prévues au premier alinéa ».
En cas de démission des membres
Même en cas de démission des membres du Conseil visés par l’enquête parlementaire, le Conseil Constitutionnel pourra aussi continuer de fonctionner. A ce propos, l’article 23 de la loi organique stipule que « Le Conseil constitutionnel ne peut délibérer qu’en présence de tous ses membres, sauf empêchement temporaire de trois d’entre eux au plus, dûment constaté par les autres membres. Si l’un des membres du Conseil, temporairement empêché, est le président, le vice-président assure son intérim ».
En réalité, c’est la légitimité du Conseil qui risque de prendre un sacré coup. Ce qui pourrait aboutir à une crise de régime.
Cet imbroglio institutionnel dont le mobile est certainement la politique réveille de mauvais souvenirs de l’année 93, année de l’assassinat de Maitre Babacar Sèye. Celui qui était vice-président du Conseil Constitutionnel avait perdu la vie au lendemain de la publication des résultats des élections législatives alors que le président de l’Institution venait de démissionner.
Ironie du sort, le magistrat Cheikh Tidiane Coulibaly, aujourd’hui accusé par le PDS de corruption, faisait partie des juges qui intervenaient dans la procédure judiciaire concernant le meurtre de maître Babacar Sèye en sa qualité de Président de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar. A ce sujet, le colonel Abdou Aziz Ndao rappelle : « Suite à des accusations de tortures contre des personnes arrêtées par la Gendarmerie lors de cette enquête, notamment le député Mody Sy et la copine de Diakhaté, un des quatre prétendus assassins, j’ai été chargé avec le Capitaine Sidya Diédhiou aujourd’hui Colonel de mener l’enquête sur ces faits par la Chambre d’accusation. Cette enquête avait démontré que les seuls faits et personnes qui pouvaient lier la bande à Clédor au PDS, notamment la remise d’argent pour l’achat des armes par Mody Sy et une réunion entre la bande et certains responsables du PDS à Pout dans un verger appartenant au père de la fille, avaient été obtenus sur la base de tortures. Le magistrat Cheikh Tidiane Coulibaly avait annulé en 1994 sans hésiter toute la procédure incriminant le PDS ».
Le colonel Ndao ne doute pas de l’intégrité du magistrat. Il a avancé : « ce même juge, quelques années auparavant, avait relaxé Maître Wade dans une procédure sur la base de la liberté de culte. Wade avait organisé des prières pour le départ de Diouf et avait été arrêté sur la voie publique pour attroupement et manifestation non autorisée ». « Accuser ce magistrat, et lui particulièrement, est une hérésie et une atteinte grave à l’honneur d’un homme que je juge digne, courageux et conséquent » a-t-il regretté.